Texte : Emilie Moulies
Théodore Monod le Fou du Désert
Théodore Monod et le désert, ça sonne comme le titre d’une fiction mais c’est aussi le parcours incroyable d’un homme bien réel ! Attaché au vivant sous toutes ses formes, humaine ou naturelle, Théodore Monod a laissé son empreinte aussi bien dans les dunes du Sahara, que dans le monde de la science et dans les combats de notre société. Pour le décrire, il faut user de superlatifs comme « le grand spécialiste français des déserts », ou encore « l’un des plus grands spécialistes du Sahara au xxe siècle ». Sa vie est une aventure humaine hors du commun, digne d’un roman.
Théodore Monod : Biographie
Valeurs familiales
Théodore Monod est né le 09 Avril 1902 à Rouen, benjamin de 4 garçons. Les hommes de sa famille forment une longue lignée de pasteurs protestants. Son père a d’ailleurs fondé la Fraternité Spirituelle des Veilleurs. Ce terreau familial, mélange de culture et de spiritualité, va forger sa personnalité.
Quand Théodore a 5 ans, son père est nommé à la paroisse de l’Oratoire du Louvres et la famille s’installe dans le 5 ème arrondissement de Paris. Le petit garçon se promène tous les jours au Jardin des Plantes avec sa mère et connaît par cœur les noms des grands naturalistes.
Études scientifiques
À 16 ans, il crée sa propre Société d’Histoire naturelle. Puis, à 18 ans, il entre à la Sorbonne pour y faire des études en sciences naturelles. Parallèlement il est engagé comme naturaliste sur une croisière océanographique. L’année suivante, il obtient sa licence avec 3 certifications en géologie, zoologie et botanique.
À 20 ans, il devient assistant stagiaire au laboratoire des pêches et productions coloniales d’origine animale au Muséum national d’histoire naturelle. Dans ce cadre, il se rend à Port-Étienne (aujourd’hui Nouadhibou) sur les côtes de Mauritanie pour réaliser une étude de biologie marine sur les phoques moines dans la presqu’île du Cap Blanc.
Et à 24 ans seulement, il obtient son doctorat en sciences.
Théodore Monod et le désert, une grande histoire d’amour
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Coup de foudre pour le désert
Théodore Monod va arpenter le Sahara pendant plus de 60 ans, à dromadaire comme à pied.
Ses expéditions dans cette région méconnue lui valent le surnom de « fou du désert ». Sa curiosité sans limite et son endurance exceptionnelle vont achever de faire de lui une légende. Cette passion du désert naît en 1923. À tout juste 21 ans, Théodore participe à une méharée de trois semaines qui lui fait découvrir le Sahara. C’est le coup de foudre.
Trois ans plus tard, il reste 15 mois dans le Sahara occidental pour une mission d’exploration entre Tamanrasset et Tombouctou. En 1929, pour son troisième séjour dans le désert, il se rend dans l’Adrar Ahnet, au cœur du Sahara algérien, pour effectuer son service militaire comme saharien de seconde classe. C’est le début d’une longue série de rendez-vous en terre désertique.
Spécialiste du Sahara
Entre 1934 et 1935, âgé de 32 ans, il organise sa première grande expédition dans le massif de l’Adrar de Mauritanie, dans l’ouest saharien. Théodore est le premier homme à investiguer le Guelb er Richat, une formation topographique singulière, puis le Tanezrouft, une zone encore inconnue qui fera l’objet de 2 autres missions en 1936 et 1937.
Entre 1953 et 1964, il sillonne le désert du Sahara occidental de la Mauritanie au Mali. Au cours de 6 expéditions, il parcourt plus de 5 000 km à pied et à dos de chameau dans une zone où personne n’a plus mis les pieds depuis le Néolithique. Ce sont des périples longs, difficiles et risqués. Traversant parfois jusqu’à 900 km sans aucun point d’eau, ne consommant que 9 verres de thé et un repas cuit par jour, Théodore Monod impressionne.
Pendant les années 70 et 80, il effectue d’autres missions dans le Sahara, mais aussi au Yémen et en Iran. Il explore également le désert de Libye à l’occasion de 11 voyages.
Jamais rassasié de sa soif de curiosité, Théodore est toujours partant pour une nouvelle méharée sur ses terres de prédilection. Et ce ne sont pas ses 91 printemps qui l’arrêtent !
« Vu de l’extérieur, il ne paraissait pas extrêmement raisonnable, dirons-nous, qu’un voyage de ce type soit entrepris par un vieillard de quatre-vingt-onze ans et qui voit mal. Le dernier point est secondaire puisque les pieds sont encore valides mais ces pieds marchent de façon un peu ralentie »
En 1998, à 96 ans, il repart marcher dans l’Adrar, qu’il fera connaître sous le nom de Majabat al Koubra. Ce sera son dernier voyage. Avec 196 missions à son actif, Théodore Monod est l’un des plus grands explorateurs du Sahara du 20e siècle.
Théodore Monod, le scientifique éclectique
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Archéologie et géologie
Botanique et zoologie
En 1938, Théodore Monod crée et dirige l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) de Dakar. Grâce aux 30 000 échantillons (plantes, roches, insectes, crustacés, fossiles) qu’il rapporte de ses voyages d’exploration, l’IFAN devient le plus grand centre scientifique de l’Afrique-Occidentale française.
Son travail a permis la constitution d’un incroyable herbier de près de 5 000 références ainsi que la découverte de 35 espèces végétales et 130 espèces animales. Son nom reste attaché à des dizaines d’espèces comme la Monodiella flexuosa, une fleur de la famille des gentianacées.
Auteur prolifique, Théodore Monod publiera 1 881 écrits dont près de 700 consacrés aux sciences de la nature.
Ichtyologie et faune marine
En 1942, il est nommé directeur du laboratoire des Pêches d’Outre-Mer au Muséum. Puis, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle de 1946 à 1973. Ses recherches sur la faune marine l’amènent également à participer aux essais du premier bathyscaphe, le FNRS II, conçu par le physicien suisse Auguste Piccard. En 1948, à Dakar, ils effectuent ensemble la première plongée expérimentale : l’appareil atteindra une profondeur de 25,10 mètres. Reconnu par ses pairs, Théodore collectionne les honneurs.
En 1949, il intègre l’Académie des sciences d’Outre-Mer, en 1957 celle des sciences marines et enfin l’Académie des sciences en 1963. Devenu professeur honoraire du laboratoire d’Ichtyologie générale et appliquée en 1974, Théodore Monod ne cessera jamais de travailler.
À plus de 90 ans, il étudie encore le squelette crânien et le système musculaire des scaridae ou poissons-perroquets. La précision de ses travaux d’ichtyologie, dont des centaines de dessins et croquis qu’il réalise à l’encre de Chine, font de lui le spécialiste mondial des poissons et des crustacés.
Théodore Monod, l’humaniste militant
Antimilitariste et pacifiste
« Bien que fonctionnaire, je persiste à tort ou à raison, à me considérer comme un homme libre, d’ailleurs si j’ai vendu à l’État une part de mon activité cérébrale, je ne lui ai livré ni mon cœur, ni mon âme… Et c’est en réalité rendre service à César lui-même que de savoir parfois, le regardant droit dans les yeux, lui dire non. Cela peut l’amener à réfléchir car César aussi a une âme. »
Opposé aux armes nucléaires
Tout en se consacrant à ses travaux et ses voyages, il jeûne chaque année devant la base militaire de Taverny, entre le 6 et le 9 août – les dates anniversaires des bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki – en protestation contre l’arme nucléaire.
Théodore Monod signe en février 1968 une lettre de soutien à ceux qui retournent leurs livrets militaires pour militer contre la force de frappe nucléaire. Il s’engage aux côté du Groupe d’action et de résistance à la militarisation (Garm).
En décembre 1981, il participe à la création du Comité pour le désarmement nucléaire en Europe (CODENE).
Militant pour le respect de la vie
« On le voyait marcher au premier rang des manifestants qui protestaient contre la bombe atomique, l’apartheid, l’exclusion. Il militait contre tout ce qui, selon lui, menace ou dégrade l’homme : la guerre, la corrida, la chasse, l’alcool, le tabac, la violence faite aux humbles. Son credo : le respect de la vie sous toutes ses formes. »
Théodore Monod s’éteint le 22 novembre 2000 à Versailles à 98 ans. Il était tout à la fois un homme engagé et le dernier des naturalistes voyageurs. Écologiste avant l’heure, il a mis sa personnalité rigoureuse et noble au service de la science et de ses convictions.
Sa passion du désert et sa philosophie de vie s’expriment dans plusieurs ouvrages, parmi lesquels Méharées (1937), l’Hippopotame et le philosophe (1943), le Chercheur d’absolu (1997), Pèlerin du désert (1999). Sa grande longévité lui a permis de transmettre ses valeurs aux générations suivantes.
1 réflexion sur “Théodore Monod et le Désert, la passion d’une vie”
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