Diable de Tasmanie
en Australie : Le Retour

Article - Environnement

©David Clode

Texte : Marylise Blanchy

Le diable de Tasmanie fait son grand retour sur le continent australien. Après 3 000 ans d’absence, exilé en Tasmanie, ce petit animal s’apprête à vivre une aventure peu commune : recoloniser certaines zones de l’Australie continentale dans le cadre d’un vaste programme de réintroduction. 

Pour l’équipe de chercheurs qui porte ce projet, c’est également un challenge. L’enjeu est de sauver l’espèce, menacée par une forme rare de tumeur. Les scientifiques espèrent aussi que l’arrivée du diable équilibrera l’écosystème local, en réduisant la présence d’espèces invasives. Retour sur les détails d’un projet ambitieux, sur lequel reposent beaucoup d’espoirs.

Le diable de Tasmanie :
un animal unique au monde

Des mâchoires impressionnantes,
un cri démoniaque

Vous avez sans doute entendu parler du diable de Tasmanie, mais savez-vous à quoi il ressemble ?

 

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Avec un tel patronyme, on imagine facilement un animal féroce. En réalité, il n’est pas plus gros qu’un chien, de fourrure noire et avec quelques marques blanches. Rien de bien effrayant. C’est quand on l’entend grogner et déchiqueter ses proies avec voracité, que l’on comprend d’où lui vient son nom. Les premiers colons au pays des kangourous ont été, en tout cas, suffisamment impressionnés pour lui donner ce nom de « diable ». 

Physiquement, sa mâchoire volumineuse et puissante lui donne une très grosse tête, par rapport au reste de son corps. À moins d’être attaqué, le diable n’est pas dangereux pour l’Homme. David Pemberton, manager du programme « Sauvez le diable de Tasmanie », indique même qu’il n’est pas si violent qu’il y paraît avec ses congénères. Malgré un comportement agressif quand ils se nourrissent, peu de blessures sont à déplorer.

Un des plus grands marsupiaux carnivores du monde

Comme le kangourou et le wallaby, le diable de Tasmanie est un marsupial. Cela signifie qu’après leur naissance, les petits diables grandissent dans une poche ventrale. Alors aussi gros que des grains de riz, ils vont prendre jusqu’à 15 000 fois leur poids, pour atteindre 12 kg à l’âge adulte. De la vingtaine de bébés présents en fin de gestation, seuls 4 survivront : les premiers à se frayer un chemin pour s’accrocher aux 4 mamelles maternelles. Autant vous dire que la course est rude ! 

Le petit diable reste ensuite au chaud 4 mois, avant de rejoindre un terrier, où sa mère le nourrit jusqu’à ses 10 mois. Présent à l’état sauvage uniquement en Tasmanie, le diable est difficile à apercevoir dans son habitat naturel. C’est un animal nocturne. Pour l’observer, mieux vaut se rendre dans les nombreux parcs animaliers ou réserves naturelles de Tasmanie, où il est protégé.

 

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Le quokka est un petit marsupial que l'on ne trouve qu'en Australie-Occidentale.


Un charognard utile à l’écosystème local

Le diable de Tasmanie a une vraie utilité sur l’écosystème local. Il mange tout ce qui lui tombe sous la patte (oiseaux, poissons, grenouilles, wallabies, wombats, mais aussi crayons, jeans, éponges métalliques, etc.) et débarrasse l’écosystème de tous les animaux morts ou malades. C’est un charognard très efficace.

Sa présence sur la petite île australienne a vraisemblablement limité l’expansion des chats sauvages et des renards, incontrôlable sur le continent australien. Les petits mammifères terrestres comme les rongeurs, mais aussi les insectes et les oiseaux, en ont ainsi profité. Et quand on connaît le rôle majeur de ces petites espèces dans un écosystème, on comprend à quel point le diable est un acteur important de la faune et de la flore tasmaniennes. 

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Paysage de Tasmanie ©Lonely Planet


La Tumeur Faciale Transmissible du Diable :
une sérieuse menace

Pourtant, depuis une vingtaine d’années, la population de diables a considérablement diminué. Plus de 80 % des individus ont disparu. De quoi être inquiet pour ce petit animal unique, maintenant menacé de disparaître. De quoi aussi être inquiet pour l’écosystème local, qui perdrait son plus gros carnivore.

Une forme rare de cancer transmissible

C’est une forme rare de cancer, appelée la Tumeur Faciale Transmissible du Diable (TFTD), qui menace aujourd’hui l’espèce. Découverte en 1996, la tumeur se transmet d’un individu à l’autre. Elle est fatale dans presque 100 % des cas. On reconnaît facilement les animaux infectés aux lésions qu’ils présentent sur la gueule. Le diable est progressivement défiguré et lorsque la tumeur atteint la bouche, il ne peut plus s’alimenter. Les individus malades meurent alors de faim. 

De manière surprenante, ce sont les individus dominants, et non les plus vulnérables, qui sont davantage touchés par la maladie. Pour le comprendre, il faut s’intéresser au comportement des diables et au mode de transmission des cellules cancéreuses, par le biais des morsures que ces animaux s’infligent. Leurs agissements pendant la période de reproduction sont ainsi directement mis en cause dans la propagation de la tumeur. Le mâle et la femelle se mordent alors à répétition, pendant et après l’accouplement. Les individus les plus agressifs, mieux placés pour se reproduire avec succès et survivre, sont donc davantage contaminés. 

 

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Des signes d’adaptation face à la maladie

Face à cette menace, un espoir subsiste. Les chercheurs ont récemment observé une réaction immunitaire chez certains individus, qui leur permet de résister de manière inattendue. Pour la première fois, une vingtaine de diables contaminés ont survécu. Certains animaux malades vivent aussi plus longtemps. D’autres parviennent même à faire régresser la tumeur. Les chercheurs ont noté la présence d’anticorps chez les marsupiaux concernés. Des mutations du génome ont aussi été observées. La TFTD pourrait donc bien disparaître grâce aux adaptations de l’espèce et de son immunité. 

En parallèle, les diables modifient leur comportement. Ils commencent à procréer plus jeunes et les femelles sont en chaleur plus d’une fois par an. La diminution de la densité de la population, avec un accès facilité à la nourriture, pourrait expliquer cette évolution. Quoi qu’il en soit, ils se reproduisent maintenant plus rapidement. L’espèce reste menacée, mais son déclin est moins rapide.

 

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Bébé diable de Tasmanie

Les actions de protection de l’Homme

Confrontés à une possible extinction de l’espèce, les défenseurs du diable ont essayé de capturer et d’isoler les animaux contaminés, sans succès. Le développement d’un vaccin est une piste plus sérieuse pour les scientifiques. Sachant que ce sont les animaux dominants qui sont le plus touchés, une campagne de vaccination sélective pourrait donner de bons résultats. 

En parallèle, les chercheurs australiens souhaitent maintenir une diversité génétique qui favoriserait les adaptations face à la maladie, elle aussi évolutive. Un projet de réintroduction du diable sur le continent australien, avec un possible impact positif sur l’écosystème, a été lancé.

 

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Tim Faulkner, président de l'association Aussie Ark ©Aussie Ark


Le diable de Tasmanie en Australie :
Réintroduction en cours

Les premières phases du projet

En mars 2020, 15 diables de Tasmanie « sains » ont été relâchés dans le Barrington Wildlife Sanctuary, en Nouvelle-Galles du Sud. Équipés de colliers radio, ces animaux, élevés en captivité, ont intégré un espace protégé, composé de forêts d’eucalyptus et délimité par des barrières. La zone avait été préalablement nettoyée, afin d’éviter de potentiels feux de forêts, et débarrassée des chats sauvages et des renards présents. Quelques carcasses de kangourous ont été servies aux diables au début, le temps de s’assurer qu’ils s’adaptent bien à leur nouveau territoire.

En septembre 2020, 11 animaux supplémentaires ont été libérés. Si tout se passe bien, 40 diables de plus viendront intégrer cette zone protégée, dans les deux ans à venir. Les protecteurs de la faune australienne placent beaucoup d’espoirs dans ce programme, aussi bien concernant la survie de l’espèce, que l’impact favorable du diable sur son environnement.

 

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Réintroduction de diable de Tasmanie par l'équipe Aussie Ark © Aussie Ark

Les espoirs portés par ce projet

La présence du diable devrait permettre de stabiliser l’écosystème local, ravagé par les espèces invasives (notamment les chats sauvages et les renards). En présence du diable, le chat préfère chasser au crépuscule ou à l’aube, pour éviter le marsupial qui sort la nuit. De nombreuses espèces de petits mammifères nocturnes bénéficient alors d’une protection. Ce sont ces petits animaux, notamment les rongeurs mais aussi les insectes, qui régénèrent et protègent le biotope en creusant et remuant les sols. Ils participent ainsi à la régénération de l’humus, favorisant la complexité végétale et la bonne santé des sols.

Les équipes en charge de ce projet envisagent à terme de relâcher d’autres espèces protégées dans cet enclos. Une extension de la zone concernée est déjà prévue.

 

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Diables de Tasmanie réintroduit en Australie ©Aussie Ark

Les interrogations en suspens

De nombreuses questions restent cependant en suspens. Évidemment, le projet est préparé de longue date. La zone dans laquelle le diable est introduit a été rigoureusement sélectionnée, afin que les conditions climatiques et de paysage lui permettent de s’établir au mieux. Elle a aussi été clôturée, afin de contrôler les effets de la réintroduction. L’arrivée du diable doit, en principe, avoir un effet positif. On ignore cependant si elle peut avoir un impact sur d’autres espèces sensibles.

À titre d’exemple, la réintroduction du diable sur Maria Island, une île au large de la Tasmanie, devait sauver des colonies d’oiseaux autochtones de leurs prédateurs invasifs. Si le diable a bien chassé les prédateurs, il a aussi mangé les œufs et les progénitures des oiseaux de mer qu’il était censé protéger, menant à leur extinction.

 

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Maria Island au large des côtes de la Tasmanie - Cape Barren - Oie sauvage

Introduire un prédateur dans un espace naturel est une stratégie aux effets imprévisibles, qui nécessite de penser à tout l’écosystème. Et il est absolument impossible de prévoir les effets de cascade induits par l’arrivée d’un nouveau prédateur dans un espace naturel.

Pour l’instant, les barrières établies autour de l’espace protégé créent une sorte d’observatoire, dans lequel les effets de la réintroduction sont sous contrôle. La grande question reste de savoir si cette réintroduction peut fonctionner sur le long terme.


Ce type d’initiatives nous amène aussi à nous interroger sur la place de l‘Homme dans l’univers et son interaction avec celui-ci. Des espèces disparaissent et d’autres apparaissent en permanence. C’est le cycle du vivant. Il est difficile de savoir comment protéger la nature au mieux, sans jouer à l’apprenti sorcier, avec tous les risques de dérapages incontrôlés que cela comporte.

Redonner de la place à la nature, n’est-ce pas aussi abandonner ce cycle interventionniste ? Accepter que peut-être, oui, certaines espèces vont disparaître. Ou peut-être pas, puisque l’exemple du diable montre que le vivant porte déjà en lui des capacités d’adaptation exceptionnelles.

Pour en savoir plus sur le rewilding et la réintroduction d’espèces, jetez un oeil à l’article des « curieux de nature » :
Ensauvagement & Rewilding Définitions et Usages

Découvrez en images, qui est ce petit diable (vidéo 1 : 2,22min) et l’explication du projet de réintroduction en Asutralie (vidéo 2 : 1,42min) :

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