« S’abandonner à vivre » : ma Nuit en Cabane

Nouvelle Vagabonde
Micro-Aventure

©yann-allegre

S’abandonner à vivre”, (Sylvain Tesson – Gallimard), j’ai emporté ce livre avec moi pour vous en faire un résumé, mais finalement je préfère vous raconter mon aventure à laquelle j’ai envie de donner, si je puis me le permettre, le même nom : “S’abandonner à vivre”, le temps d’une nuit en forêt.

Je le sais, je cite beaucoup cet auteur, mais il n’y a pas de phrase plus juste pour commencer mon récit :
“Il est bon de savoir que dans une forêt du monde, là-bas, il est une cabane où quelque chose est possible, situé pas trop loin du bonheur de vivre.” (Sylvain Tesson – Dans les forêts de Sibérie – Gallimard).

 

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Les préparatifs

Mardi 2 mars 2021.
C’est avec une grande excitation que je prépare mon sac pour partir dans la forêt. Partir le plus léger possible. Cela me rappelle l’époque où je pesais chaque gramme de mes affaires avant de faire mon sac de voyage. Ne pouvant pas porter de charges trop lourdes, j’y fourre le strict minimum. Mon sac de couchage, un petit matelas, un réchaud, ma frontale et quelques accessoires de Robinson feront l’affaire. 

Mon corps s’est une fois transformé en boomerang rebondissant contre une carriole des temps modernes, me laissant ainsi quelques séquelles handicapantes pour une vagabonde. L’excitation me porte, celle d’un voyage, d’une aventure vers l’inconnu. Cela fait tellement longtemps que je ne suis plus partie seule et pourtant les voyages en solo me nourrissent, me font vibrer, ils sont mon essence.

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Départ col du Marchairuz


Le Départ

Ça y est, j’y suis. Point de départ : route du Marchairuz. Direction : ma cabane, la Pierre à Écusson, 1346 m.

Le chemin est enneigé, mais la neige dure me permet de progresser aisément avec mes simples chaussures de randonnée.

En Chemin

Arrivée à la moitié du trajet, je décide de prendre une traverse et d’emprunter le pâturage qui semble plus dégagé et plus praticable. Très mauvaise décision. La neige trop irrégulière me ralentit et je m’éloigne peu à peu de mon cap. J’essaie alors de rejoindre le sentier tant bien que mal, mais la neige est trop abondante par endroit et avec mon sac, je ne cesse de perdre l’équilibre.

Je maudis ces trous formés par les troncs d’arbres coupés, qui, avec la neige tombée, en font un véritable gruyère. Par moment, je m’enfonce jusqu’aux genoux, je crains d’y passer une jambe.
J’apprendrai plus tard qu’on y retrouve parfois des vaches mortes et même quelques cadavres, morts de froid après s’être cassés une jambe ou tombés dans une doline. Il faut dire que le téléphone ne passe pas à des kilomètres à la ronde de cette vallée, rendant ainsi l’intervention des secours très compliquée.

Cette pureté du sauvage, je m’y sens si petite et à la fois si justement à ma place.

Ma Cabane

J’y arrive enfin ! Je l’aperçois, là, derrière les arbres, qui m’attend. Qui attend que moi aussi je vienne y laisser une petite trace. Combien sommes-nous à être passés par là ? A y avoir mangé, allumé un feu, peut-être même dormi malgré l’interdit ?! Peu-importe, aujourd’hui c’est moi seule qui profite de l’endroit.

En montant, je suis tombée sur un piège photo, signalant qu’ils tournaient un film sur la grande faune dans les environs. Peut-être aurais-je la chance d’en voir. Mais à l’heure qu’il est, je n’entend que madame la chouette. 
Je m’approche timidement. Quelle déception en voyant tous ces déchets à l’entrée. Cet endroit qui paraissait si vierge.

 

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Refuge forestier Pierre à Ecusson

 

Il est 17h, je suis enfin là, toi que j’ai tant rêvé, tant attendu. Je prends possession des lieux en douceur. Je pose à peine mon sac, tout est si bien à sa place. Le poêle, la table, les deux bancs, le journal, les allumettes. Il ne me manque plus qu’à couper du bois. Une belle scie orange trône sur le mur derrière le poêle. Je m’en empare, referme précautionneusement mon petit logis et pars à la recherche de bûches. En trouver des sèches ne va pas être une mince affaire avec toute cette neige. Le stock de bois normalement entreposé sous la cabane est déjà parti en fumée. 

Au début, je ne tombe que sur des branches fines, puis mon œil s’aiguise et je perçois des petits troncs qui feront bien l’affaire. Rapidement, je prends le coup de main avec la scie et me voilà dans la peau d’un bûcheron.

Je me sens si bien, légère. Je ne pense plus à rien. Plus qu’à ma cabane et au feu que je vais y faire pour me réchauffer.

L’économie de l’inutile au profit de l’observation et de l’immersion dans le vivant.

Me retrouver seule dans la forêt, c’est tout ce dont j’avais envie, besoin. Sans téléphone, juste pour prendre quelques photos. Ce silence nourrit mon âme et apaise mes maux. Cette pureté du sauvage, je m’y sens si petite et à la fois si justement à ma place.

 

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Un jour peut-être...

Je sais que tu es là, pas loin. Un jour viendra peut-être, où je plongerai mes yeux dans les tiens. Pour l’instant, je ne fais que te rêver et t’admirer en images. J’ai mis mes mains dans tes traces, j’ai senti tes crottes, cette odeur brute, du fond des âges, que je reconnaîtrais parmi mille fragrances. J’ai suivi tes pas, j’ai lu, j’ai appris sur toi.

Un jour peut-être, je plongerai mon regard dans le tien.
Un jour peut-être, au détour d’une forêt, je t’apercevrai. En attendant, je ne fais que te rêver.
Être dans ton élément, ton environnement, pouvoir m’imprégner de ton passage dans tes traces est déjà un immense cadeau.

Je vais aller m’endormir dans cette cabane, au milieu de ton chez toi, de ton territoire, sous cette nuit étoilée, sur fond sonore de Tengmalm et toi à mes côtés. Je sais que la nuit va être belle et pure, comme l’est cet endroit.

Je me sens si calme, si bien. Un jour, je poserai mon regard dans le tien !

 

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l'Essentiel

On parle des petits plaisirs de la vie, je dirai que ça, ce sont les grands plaisirs d’une vie.

Mercredi 3 mars 2021.
Se concentrer sur ses besoins primaires, se chauffer, s’hydrater, s’alimenter. Se centrer sur l’essentiel, sans superflu, sans connexion, sauf celle à la nature. En silence. Me retrouver. Ecrire. Faire fondre la neige au coin du poêle pour avoir de l’eau. Trouver du bois. Penser. Penser à rien. Ne pas parler pour rien. Rien d’inutile, ni de futile. L’économie de l’inutile au profit de l’observation et de l’immersion dans le vivant.

La nuit a été froide, je dirais négative, la grosse bûche que j’avais récupéré n’a pas prise et le trou dans la porte n’a pas permis de garder la chaleur. A l’aube, je trouve le courage pour refaire un feu avec le peu de petit bois qu’il me reste. Il aurait fallu que je la fende cette grosse bûche, mais il n’y a pas de hache dans cette cabane. Peu-importe, j’étais là, seule au milieu de la forêt dans la nuit étoilée.

Reprendre sa Route

C’est le cœur serré, que je sens que je dois bientôt te quitter. La pause enchantée n’aura duré que 24h et pourtant cela m’a semblé être une éternité de sérénité et de bonheur.

On parle des petits plaisirs de la vie, je dirai que ça, ce sont les grands plaisirs d’une vie. Quoi de mieux que de se sentir vivant, entendre son souffle dans une profonde paix sonore et visuelle. Seul le crépitement du poêle et le craquement de la cabane.

Je suis bien, je vis. J’ai à peine dormi mais rien ne me fait souci, si ce n’est le retour. Le retour à la réalité.


Pierre à Écusson, ma cabane en solitaire dans la forêt, sans van, ni tente, je ne t’oublierai pas, je reviendrai. L’envie de partir en itinérance à pied se fait sentir. J’espère que mon corps me le permettra bientôt, libéré de ses maux.

Tu es comme un aimant. Je me lève, je range mon couteau dans mon sac, puis me rapproche du poêle encore chaud. Cela fait déjà plus d’une heure que je fais cette petite danse, mais rien ne me pousse à partir, tout me retient ici dans ce havre de quiétude.

Je profite des dernières braises, je masse ma cheville endolorie et trouve encore n’importe quel prétexte pour rester avec toi, jolie cabane des bois.
Ça y est, il est l’heure de te nettoyer, de te refaire une beauté pour tes prochains visiteurs et de remporter avec moi mes traces d’Homme. Ne laisser que mes empreintes dans la neige.

J’écris un mot que j’accroche à ton mur à l’attention de tous tes locataires, pour qu’ils te respectent et n’oublient pas, sur leur passage, leurs traces d’Homme. J’ai honte de ce qu’il y a devant ta porte, je crains que les habitants de ta forêt ne tombent dessus et ne se fassent du mal. Si seulement je pouvais prendre avec moi tous ces déchets.

Je baisse les yeux, tourne la tête une dernière fois, un dernier regard vers toi, le cœur léger et émerveillé, je reprends mon chemin.

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6 réflexions sur “« S’abandonner à vivre » : ma Nuit en Cabane”

    1. Anne-Laure Ubaud

      Merci Nicole pour tes mots.
      J’ai pris tellement de plaisir à l’écrire, c’est la plus belle chose pour moi de savoir que je peux partager ce que j’y ai ressenti ! Nouvelle expérience au travers de ces « Nouvelles Vagabondes »…

      Et je suis très heureuse de compter « Local & Durable » parmi mes nouveaux lecteurs <3

  1. En voila une belle aventure! partir de sa maison, pour rejoindre une cabane dans la forêt, une expérience dépaysante, un sentiment de liberté. On peut se demander pourquoi quitter sa maison si confortable…pour une cabane en pleine forêt sans eau, sans électricité, sans réseau…oui on comprend que tout l intérêt est dans cette déconnexion. RETOUR à la nature, se poser, observer, ralentir le temps, baisser la cadence, vivre au rythme de la nature, ici et maintenant…retour à la vraie vie: un abri, de quoi manger, de quoi dormir, contemplation, silence, une vie simple et heureuse, un véritable retour aux fondamentaux. Une expérience riche pour une réflexion personnelle. Bravo!!

    1. Anne-Laure Ubaud

      Merci Lydie pour votre soutien, pour lire encore et encore alu-mette ! Du fond du coeur, merci pour vos encouragements de lectrice fidèle 🙂

  2. Bonjour Alu-mette,

    Première connexion, premier article que je lis.
    Un grand merci pour ce partage qui m’a donné le temps de la lecture un sentiment d’évasion.
    Votre site est très agréable, très épuré, discret.
    Je reviendrai à des moments plus propices pour continuer à découvrir vos articles et par la même occasion m’enrichir sur des actions qui existent pour la protection de la planète et que j’ignore.
    Je vous souhaite beaucoup de visites, et bonne chance dans tout ce que vous entreprenez.
    A bientôt pour un autre commentaire.
    Merci encore pour ce partage.

    1. Anne-Laure Ubaud

      Bonjour David,

      Merci pour ce beau commentaire ! Vous n’imaginez pas ce que ça représente pour moi d’avoir de tels retours. Un vrai coup de boost pour alu-mette 🙂
      J’y mets tout mon coeur et mon énergie donc je suis ravie que cela puisse toucher d’autres personnes également.

      Et oui, en espérant rassembler le plus possible d’initiatives inspirantes pour instaurer des petits changements individuels qui auront un grand impact collectif !

      A bientôt avec plaisir et une très belle journée.
      Anne-Laure

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