4 jours à Vélo dans le Jura : Bivouacs, Vent, Lac & Compagnie

Nouvelle Vagabonde
Micro-Aventure

©alu-mette

Le 2 avril 2021, Jour 1. 

10h00. Départ de Sus-Châtel, direction : “On verra où le vent nous portera”. Objectif tout de même : le village de Romainmôtier à 52 kilomètres de là !

Premier voyage en itinérance à vélo, je touche enfin ce bonheur du doigt. Depuis des années qu’on en rêve,  jusque là c’était physiquement impossible (pour moi). Et puis, il y a un an, a surgit l’idée d’un vélo électrique. A première vue, on pourrait croire que cela enlève pas mal de liberté au voyage, mais pour moi c’est ce qui a rendu l’aventure possible. Alors, non je n’en ai pas honte, même si un sentiment d’illégitimité me gagne devant le regard admiratif des passants. Ô courageux voyageurs à vélo. 

Certains diront, que je ne suis pas une “vraie”, pas une puriste, mais plutôt une assistée, ne parcourant pas tous ces kilomètres à la seule force de mes mollets. Sont-ce les autres qui portent ce regard sur moi, ou bien est-ce moi même ? 

Un petit moteur m’assiste dans les plus grosses montées et les cols, mais l’objectif étant l’autonomie et les bivouacs en forêt, je ne peux pas compter sur une recharge quotidienne, surtout en temps de Covid, il me faut donc économiser la batterie.  

La monture de Romain, elle, est un puissant croisement entre un cheval de course et une mule. Chargé de la tente et du réchaud, il avance à la seule force de ses gambettes d’athlète.

 


Pure liberté

Ça y est, les premières sensations de liberté se font sentir. Rouler cheveux au vent à une allure humaine. Être à la portée des villageois, pas de barrières de carrosserie, ni d’habitacle, tout est à notre portée, autant les vaches, les ânes et les chevaux que les habitants. J’ai une soudaine envie de saluer tout le monde, même les promeneurs. De Genolier, à Bière, Bassins, Marchissy, toutes ces fermes de villages sont magnifiques, on les connait pour les avoir déjà aperçu en voiture, mais là tout semble différent, nouveau, accessible, plus beau. Nous sommes émerveillés.

La chaîne des Alpes de l’autre côté, nous en met plein la vue, elle nous nargue avec ses sommets d’un blanc immaculé, mais bien content d’être dans le Jura pour ses plus faibles dénivelés.

Et si on prenait cette route ? Cette cascade avec ses vasques turquoises rendraient jalouses les eaux des Caraïbes. On trempe les jambes dans l’eau glacée. “Reset”, comme on a l’habitude de dire pour nos bains en rivière lors de nos randonnées en montagne. Niveau bornes : c’est comme si on remettait les compteurs à zéro.
Une roue à auget en fonctionnement, on s’arrête, on observe. Cette forêt serait bien accueillante pour un bivouac. Tous nos sens sont en éveil. Nous sommes émerveillés.

 



Pure Emotion

Plus le temps de traîner, il reste quelques kilomètres avant Romainmôtier. la température commence à chuter. Arrivés au village, splendeur et émerveillement. On nous en avait beaucoup parlé de ce petit bijou, niché au fond d’un vallon bien ensoleillé. C’est bien plus beau que ce que l’on ne pouvait l’imaginer, avec sa majestueuse abbaye et ses arbres de toutes les couleurs, vêtus de fleurs printanières.

L’énergie du lieu appelle à la plus profonde lenteur. Regarder les abeilles butiner, marcher à pas de fourmis le long de la rivière. On se croirait dans un tableau de Monet, tout est d’une beauté simple et douce qu’on a envie de s’y arrêter et d’y vivre. Ce sont sur ces images que nos rêves enchanteront notre nuit.

 

 

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Le 3 avril 2021, Jour 2.

 

Fleur de farine. Café. Soleil. Lavage de figure dans la fontaine du village. Voici venue l’heure de se remettre à pédaler.

Lourde décision à prendre : notre itinéraire doit être revu. 40 km/h de bise sont annoncés et on a prévu de rouler vent de face direction Neuchâtel. Ça se tente quand même. Quelques kilomètres plus loin, demi tour. On choisit l’option tire fesse.

C’est une vallée bien industrielle que l’on traverse, plus pauvre, plus hostile. Les hivers rudes ont dû endurcir la nature, et les gens aussi. Pas un chat, près de 5°C, ressenti 0° avec la bise glaciale. Après une route sinueuse, qui passe dessus-dessous l’autoroute, on s’arrête à Ballaigues, vérifier l’itinéraire. Un biscuit au soleil sur le bord de la route, une fenêtre s’ouvre dans l’immeuble d’en face. « Vous prendrez bien un café pour vous réchauffer après votre casse-croûte », nous propose si aimablement une vieille dame. Ça ne se refuse pas. Il est de ces rencontres, brèves et sans paroles, qui ne s’oublient pas, qui vous marquent, vous redonnent confiance en l’espèce humaine, en sa bienveillance. Quelques sourires, quelques phrases banales sur le temps et le chemin et c’est le cœur bien chaud qu’on remonte en selle.

Vallorbe. Le Chenit. Le Sentier. La vallée est marquée par l’industrie horlogère mais rien ne brille, pas d’enseignes lumineuses et fluorescentes, pas de diamants, ici c’est le savoir-faire, l’artisanat, c’est l’envers du décors des vitrines show off des grandes villes internationales. La nature y reste authentique avec ses paysages aux falaises affûtées, encore glaciales.

 



Yosemite Valley : Version Jura

On pourrait croire à une représentation céleste du lac des Cygnes

C’est le moment de grimper. Un long chemin en terre longe l’abysse de la Dent de Vaulion sur fond de décors d’Indiana Jones et de Yosemite Valley. Des conifères de taille américaine se dressent comme des flèches vers le ciel. Fascinant. Nos yeux sont rivés vers les sommets. La bise souffle toujours de manière tempétueuse faisant danser les arbres. Leurs branches sont telles des pantins, agiles, articulés, fluides et aériens. On pourrait croire à une représentation céleste du lac des Cygnes. Danseuses étoiles des cimes, vêtues d’aiguilles, le soleil perçant au travers. Atmosphère de grands espaces de l’époque des chercheurs d’or.

Après quelques heures passées à rouler dans ce décor cinématographique, nous plongeons enfin sur le lac de Joux.

16h. Bise pleine face, risées après risées, pas de répit, mais on a pas le choix. On se jette dans l’eau glacée, rincer nos traces de sueur animale imprégnée dans nos pores. Mes bains annuels dans le lac Léman me permettent d’accueillir l’eau froide plus naturellement et avec la plus grande joie.
Pendant ce temps, ma batterie charge dans un vide grenier.

17h. Lavés, revigorés, revivifiés. Les bienfaits indiscutables de l’Eau. Il est temps de se remettre en route et de chercher un bivouac pour la nuit. Nos critères principaux : forêt, à l’abri du vent, terrain plus ou moins plat. Quelques kilomètres et quelques explorations de chemins plus tard, nous voilà bringuebalants, traversant un pâturage à dos de nos “bipèdes”. Une jolie lisière de forêt nous tend les bras. Le vent souffle, mais il tombe pendant la nuit, n’est-ce pas ?! Cette nuit, ce sera l’exception. La force du vent doublera pendant la nuit. Nous ne sommes pas au bout de nos peines, mais nous l’ignorons, donc nous profitons de l’instant. Ô joie du voyage en itinérance : être pleinement dans l’instant.

Victuailles. Soleil. Plaques de neige. Nous profitons des derniers rayons qui veulent bien nous réchauffer ou faire semblant. Nous rejoignons la tente, des airs de tempête du Groënland. Tout s’envole, même ma monture se retrouve face contre terre. On réussit tant bien que mal à avaler notre soupe.

La nuit va être longue. Une vraie tempête sous les arbres : erreur de débutants. Les aiguilles claquent sur la tente comme de la grêle. Le bruit est assourdissant. A chaque rafale, je sens que la tente va s’arracher.
Une nuit d’enfer. Une nuit froide. Une nuit tendue. Une nuit blanche.

Au petit matin, il est toujours là, toujours la même force, mais le soleil et les rares chants d’oiseaux nous donnent le courage de pointer le bout du nez dehors. Mode chrono enclenché : replier le campement le plus vite possible et rouler pour trouver un coin abrité. Si tant est que cela existe avec ce vent.

 



Face à face avec l'Homme

 Le 4 avril, Jour 3.

On roule dans cette descente glacée. Mes doigts sont ceux d’un himalayiste en pleine ascension. Je frôle les gelures.

Premier village : Le Lieu. Pas de déambulation pour trouver un coin de paradis, le trottoir de l’administration communale est au soleil. On y jette les vélos, on dégaine le réchaud, on se tapis au sol contre le mur tels des lézards. L’air tourbillonnant est tellement glacial que seul le café nous donne une sensation de chaleur. Les rayons du soleil n’ont pas sorti leur pouvoir magique aujourd’hui.

Sommes-nous si déshumanisés au point d’avoir peur de l’Homme ?

 

 

Pas âme qui vive dans le village. Mais où sont-ils passés ? Dimanche de Pâques. La porte du temple s’ouvre et quelques personnes commencent à sortir. Enfin une lueur d’espoir, on ne va pas se mentir, on ne dirait pas non à une tasse de café chaude.

“Tu aideras ton prochain”. C’est cela qu’on dit, non ?! On est là, comme des clochards, grelottants de froid, assis dans la rue. De vraies bêtes curieuses. Gestes barrières, masques, il a bon dos ce Covid. Sommes-nous si déshumanisés au point d’avoir peur de l’Homme ?

Je pense à ces sans-abris, que nous fuions du regard et à qui nous n’osons même pas sourire. En quelques minutes, la place du temple se vide, ils ont tous filé comme des rats. Le spectacle a assez duré, nous ferions bien d’en faire autant si nous ne voulons pas perdre nos extrémités.

 

 

De retour sur le lac de Joux. Il a pris des airs de mer du Nord. Une houle bien formée. Il offre un dégradé de bleu incroyable, du dur au ciel, pour le plaisir de nos yeux.

Le Brassus, l’empire horloger, marque l’urgence de remplir toutes nos gourdes avant le col. Un couple allemand, nous fera grâce de son or bleu.

Col de Marchairuz, épingles après épingles, nous arrivons à notre point de bifurcation. Chemin enneigé sur plus de neuf kilomètres. Là, ça ne se tente pas. Deuxième changement d’itinéraire. Les aléas de la nature et de la météo. En avril ne te découvre pas d’un fil, certes, mais surtout fais attention aux sentiers enneigés si tu décides de t’aventurer à vélo dans le Jura !

Direction de l’autre côté du Col. Bien exposé au soleil, le chemin dans la forêt sera dégagé ! On s’engage, ça à l’air de passer. Encore une belle illusion, mais cette fois-ci nous sommes trop engagés sur le chemin, on ne fera pas marche arrière, même devant cette épaisse couche de neige.
Glissades. Retour de pédales dans les tibias et mollets. Chutes de cascadeurs. Râleries et jurons en tous genres. Nous ne sommes pas au bout de nos peines.

Intuition ? Flair ? Finalement, toutes ces galères nous mèneront au bivouac parfait. Une clairière entourée de forêt. Malgré quelques plaques de neige, le soleil perce encore. Un beau feu nous hypnotisera toute la soirée.

 

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Le strict minimum pour un maximum de bonheur et de joie

Le 5 avril, Jour 4.

On fait durer. On suspend le temps, et, comme par magie, il ralentit, ou nous en donne l’illusion. Repousser le plus longtemps possible le moment du retour.

11h. Il reste encore quelques kilomètres et quelques coups de pédales à donner. Le temps tourne à la pluie. C’est l’heure de repartir à travers les pâturages, qui nous donnent l’impression de rouler sur des routes toutes cabossées du Nicaragua.

Le massif du Mont Blanc, majestueux, nous offre encore et toujours un panorama enchanteur. L’angle selon lequel nous apparaît l’aiguille du Midi nous indique que nous ne sommes plus très loin de la maison. Quelques dernières grandes inspirations à poumons pleins, sentir encore un peu l’air qui me caresse les joues. Ça y est nous y sommes.

Des étoiles pleins les yeux, sûrement celles que le ciel m’a offert la nuit passée : première aventure à vélo. Je rêve déjà de la prochaine !

 

Voyager, vivre dehors.

Cette sensation de liberté. L’essentiel. Rien en trop.
Quand je reviens, je vois toutes ces choses accumulées sur les étagères, dans les armoires. Toutes ces choses inutiles et soudain l’angoisse me monte et l’envie de repartir m’envahit. Repartir vivre dehors au rythme de la nature.

Le strict minimum pour un maximum de bonheur et de joie, tout le reste c’est la nature, les rencontres et l’aventure qui nous l’apportent. J’ai du mal à comprendre, à croire qu’avoir une Rolex, une Tesla, un iPhone 50 ou une maison dans le dernier endroit en vogue puisse remplacer de tels bonheurs. Celui de sortir la nuit et d’observer des milliers d’étoiles dans un ciel pur. Celui de faire un feu pour se chauffer. Celui de se plonger dans une rivière cristalline pour se rafraîchir.

Doux plaisirs. Lenteur. Observation. Se connaître. Ressentir. En regard de la folie de la consommation, de l’accumulation, de la possession, du souci de l’apparence. Dénigrer les choses simples et naturelles au profit d’un monde fake, de plastique, de centres commerciaux et de bagnoles toujours plus grosses.
Un monde de comparaison qui nous amène que jalousie et dépression.

Réveillons nous. Dépouillons nous. Cultivons nous. Observons la nature, elle a bien plus à nous apprendre que nos écrans !

Allons dehors, allons marcher, allons VIVRE !!

 

 

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