Passionné par la faune sauvage, le jeune photographe animalier Jérémie Villet a fait des paysages enneigés la toile de fond de ses clichés. Récompensé par le prestigieux Wildlife Photographer of the Year, il vient de publier un ouvrage intitulé Première Neige, fruit de ses expéditions aux confins de l’Europe ainsi qu’en Sibérie, en Alaska ou dans le Yukon. Portrait.
Deux mouflons de Dall s’enlacent, leurs longues cornes se détachant de la blancheur de l’arrière-plan, tandis que leurs corps immaculés semblent au contraire s’y fondre. C’est cette photo qui a valu au Français Jérémie Villet, d’être sacré Rising star (Étoile montante) lors de l’édition 2019 du Wildlife Photographer of the Year, le prestigieux concours de photographie animalière organisé par le Muséum d’Histoire naturelle de Londres.
Il raconte : « Je me suis posté sur une crête entre deux vallées, chacune formant le territoire d’un mouflon. Au moment du rut, les lignes de crête constituent des zones d’affrontement entre les mâles. Mais le vent et le froid étaient si intenses que les mouflons sont restés collés l’un contre l’autre plutôt que de se battre ».
Des conditions climatiques extrêmes dont il a lui-même fait les frais : dans sa quête du cliché parfait, il ne s’est pas rendu compte que ses pieds étaient en train de geler. Il lui faudra des mois pour s’en remettre.
Photographe animalier, un « rêve de gosse »
C’est l’histoire d’un petit garçon qui grandit dans une ferme à la lisière de la forêt de Rambouillet (Yvelines). Le soir, il s’endort bercé par le brame des cerfs. Il les voit dans ses rêves, les imagine, les fantasme. Pour confronter ses visions à la réalité, il demande à ses parents l’autorisation d’aller dormir dans la forêt avec ses frères afin de tenter d’apercevoir ces bêtes majestueuses qui, déjà, le fascinent. De retour à l’école le lundi, personne ne le croit, et c’est pour témoigner de cette rencontre qu’il commence à photographier. Les clichés sont flous, on devine plus qu’on ne voit les bois de l’animal, mais qu’importe : une passion est née.
Se former à la photographie animalière, c’est apprendre à maîtriser la technique – mise au point, temps de pause, choix de l’angle et de l’objectif – autant qu’à apprivoiser ceux que l’on cherche à capturer sur la pellicule. « L’école de la nature, c’est la nature elle-même » confie Jérémie Villet. On apprend à connaître les animaux en les regardant vivre autour de soi. En s’oubliant et en se faisant oublier.
Vivre dans la nature, c’est apprendre à être simplement là, présent à ce qui nous entoure. « En allant juste derrière chez soi, sans bouger, il y a tout de suite un autre monde qui se recrée autour de nous, comme si on entrait dans un nouvel univers » confie le photographe. Inutile d’explorer des contrées lointaines pour vivre un moment extraordinaire. Celui-ci est à la mesure de notre capacité d’émerveillement et de lâcher-prise. Le temps s’arrête, les heures s’égrènent tandis que l’on attend, tapi dans un abri de fortune. « Le fait de partir seul avec son rêve et son imaginaire, son lien direct avec la nature, permet de tenir très longtemps, parce qu’on espère toujours une rencontre forte ».
Blanc comme neige
Le blanc permet tout autant de donner corps à cet imaginaire visuel que de capturer la beauté à l’état brut.
Tous les hivers, Jérémie Villet prend le volant de son van et remonte jusqu’aux confins de l’Europe. Suède, Finlande, Norvège, il parcourt le monde blanc à la rencontre de la faune sauvage. Telle la toile vierge sur laquelle un peintre vient poser son pinceau, la neige fait office de canevas pour capturer le vivant. L’arrière-plan immaculé permet de diriger le regard et de mettre en valeur la forme de l’animal. Parfois, la blancheur est telle que l’on distingue à peine son corps.
« Mon imaginaire est rempli depuis toujours d’animaux blancs » confesse Jérémie Villet. Petit, il voyait surgir dès les premiers flocons, des espèces invisibles le reste du temps, telles que les perdrix ou les lièvres.
En suggérant plus qu’ils ne montrent, les paysages enneigés stimulent l’imagination de l’artiste. On n’y voit le plus souvent que des traces, les animaux apparaissent et disparaissent, comme dans une vision. La frontière entre rêve et réalité y est ténue, et c’est dans cet équilibre fragile que le photographe évolue, sur le fil.
Photographier, c’est « transmettre une émotion très personnelle, une vision unique du monde » confie Jérémie Villet. Une bonne photo retranscrit un morceau de rêve, elle « donne l’impression d’avoir vécu quelque chose que l’on avait toujours voulu vivre ».
Le blanc permet tout autant de donner corps à cet imaginaire visuel que de capturer la beauté à l’état brut. La pureté de la neige agit comme un révélateur, aussi bien en fixant sur la pellicule des animaux qui échappent d’ordinaire à l’œil, qu’en amplifiant l’émotion ressentie par le photographe au contact du vivant. Elle balaie le superflu et permet d’aller à l’essentiel.
Être le témoin de la nature
La recherche d’absolu pousse Jérémie Villet à affronter le froid polaire. Ses expéditions le mènent désormais au nord du Japon, en Sibérie, dans l’État canadien du Yukon ou en Alaska. Il voyage seul, équipé d’une pulka – un petit traîneau – qu’il tire derrière lui dans la neige.
Capable de tenir deux semaines en autonomie, il installe sa tente et son matériel puis attend. Les conditions météorologiques sont extrêmes, avec des températures avoisinant souvent -40°C. À cette période de l’année, le soleil ne se lève que quelques heures par jour, offrant une fenêtre réduite au photographe pour immortaliser la faune sauvage. Jérémie Villet se sent à sa place dans cette nature pourtant si inhospitalière, puisant son inspiration dans ce « mélange de beauté absolue et accueillante » et de « force hostile puissante ».
Dans un épisode du podcast Les Baladeurs, Jérémie Villet raconte ce qui a sans doute été la rencontre la plus forte de sa carrière. Alors qu’il sillonne une route d’Alaska, il aperçoit un cadavre de caribou. En s’approchant, il découvre des traces qu’il attribue d’abord à un lynx, avant de comprendre qu’il s’agit en fait d’un loup.
Pendant des jours, il se terre dans sa tente, laissant à ce dernier le temps de s’habituer à sa présence. Il positionne son trépied, choisit un angle, un lieu, espérant que l’animal s’y invitera. « Par rapport à ce que j’ai vu, ce que j’ai imaginé, je tremble que cette scène se refasse à l’endroit que je vise » explique le jeune homme à propos de son travail. À l’instar de son confrère Vincent Munier qui se languit d’une panthère des neiges, Jérémie guette son loup. Cette attente, ce temps qui s’étire contraste avec l’excitation qui s’empare de lui lorsque l’animal s’approche enfin. La beauté et la brutalité de la nature, sa force et sa fragilité, tout converge dans ce témoignage d’une intensité rare.
Dans le discours prononcé lors de la remise des prix du Wild Photographer of the Year, Jérémie Villet se décrit comme un « simple témoin ». La beauté brute de ses clichés – qu’il refuse de retoucher – témoigne de sa quête d’authenticité, et de sa volonté de capturer le plus fidèlement possible une nature sauvage qui ne cesse de le fasciner.
Première Neige de Jérémie Villet, à offrir ou s’offrir
Texte : Candice Rivière du blog Chemins de traverse